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Tenner²

Tenner²
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Tenner²
13 août 2006

A mourir pour mourir

"As-tu déjà réfléchi comme tout le monde à la façon dont tu quitterais ce monde? Question à choix multiples"

Qu'une mort subite t'emporte sans que tu aies eu la possibilité de te préparer physiquement et moralement à l'au-delà, ou que ta disparition s'étale sur une période qui te donne l'opportunité de penser à l'ultime modification de ton être, le résultat sera probablement le même; n'empêche que les derniers instants pre mortem seront une absence épaisse, une argile rouge qui aura absorbé ta blanche sève, la fin de ton espèce; ton don de vivre n'aura plus de raisons d'être, seules quelques phrases familières, que feras-tu de ton art personnel, de ton âme singulière?

Nous sommes passés de la mort apprivoisée à la mort interdite. Elle a été perçue comme une chose inopportune, puis comme une injustice ou comme une absurdité, voire comme un anachronisme: nous aurons bientôt le pénible sentiment de connaître la mort juste avant que la médecine ne triomphe enfin de cette fatalité, quitte à attendre des siècles. Le désir d'immortalité, substitut de la peur effroyable de l'inconnu. L'importance de la sécurité dans les sociétés modernes avancées. A défaut de pouvoir trouver la sécurité en Dieu, les hommes ont fait de la sécurité une divinité. Or la mort, même pour les croyants, à l'exception de quelques saints, c'est l'insécurité absolue. En attendant de pouvoir la vaincre, nous voulons bien la nier.

100 naissances se terminent par 100 décès. La vie n'est qu'une maladie mortelle transmise sexuellement. La mort, ton dernier traîtement à cette maladie.

Le vieillissement est ton dernier prologue. Il en résulte une série de dégénérescences qui sont très bien connues et avec lesquelles nous devons vivre. Comme la longévité est une donnée génétiquement programmée, on peut théoriquement mourir en bonne santé; mais quand on est devenu trop vieux, les systèmes ne sont plus capables de s'auto-soutenir. On sait par exemple que les cellules ont une limite de reproduction. On sait qu'il y a des cellules qui ne se remplacent pas comme les neurones par exemple, et d'autres qui se remplacent tranquillement comme les hépatocites. Mais plus le temps passe, moins notre capacité de régénération et de réparation est disponible. Et puis à la fin, c'est le système immunitaire qui commence à se détériorer. Commence alors un processus où notre organisme va être envahi par d'autres organismes. Notre génome perd alors le contrôle de nos molécules. Puis on ne peut plus tomber plus bas dans la vie.

Aucun vivant n'a vraiment le droit de parler de la mort. Et ceux qui l'ont vue de près moins que tout autre: car ils finissent par croire qu'elle ressemble à ce qu'ils ont connu et qui, forcément, n'a rien d'elle.

Arrivera le jour où des savants immortels s'enfermeront dans une cité où tout sera possible. Ils seront pris de vertige, comme à chaque fois que les repères immuables et solides de la culture craquent d'un coup, laissant entrevoir leur relativité. En fait, il s'agira bien d'une véritable orgie, mais d'une orgie où le désir qui s'étanche n'est plus celui de vivre mais de mourir. Sans expliquer l'incompréhensible :

"Quand nous eûmes refermé sur nous les portes de cette colonie soustraite à l'effet corrosif du temps, nous ne savions pas que nous fermions sur nous les portes de notre prison. On s'était dit: "Enfin, nous avons réalisé le rêve de tous les âges, libres et affranchis du temps, nous allons pouvoir nous adonner à la vie totale, sans entraves et sans limitations. Au départ, cette liberté totale fut quelque chose de merveilleux. Débarrassés du poids du passé et de la peur de l'avenir, nous expérimentions ce dont les hommes ont toujours rêvé: l'instant éternel. La science, le plaisir, l'art, tout cela fut goulûment consommé jusqu'à satiété. Toutes les voies furent explorées, toutes les techniques furent essayées et toutes les possibilités épuisées. Puis vint la nausée. En fait nous avions oublié, dans notre orgueil forcené du savoir et du pouvoir, que tout existe par son contraire. Très tôt notre monde fut un non-sens: plaisirs sans joie car sans peine, désirs piégés car sans frustrations et sans limites, sciences sans objet puisque nous savions tout ou presque, art dégénéré, car sans contexte et sans contestation, même la musique sonnait faux car nous n'avions plus rien à pleurer, plus rien à chanter, plus rien à espérer. Nous avions voulu la vie totale, mais la vie sans mort serait-elle une absurdité logique?"

"Oui, la vie pour être ce qu'elle est ne peut qu'être finie. La vouloir sans la mort, c'est vouloir la gauche sans la droite, le haut sans le bas qui fait qu'il est le haut. Comme un cauchemar gris, insipide, gélatineux, indéfiniment renouvelé, sans possibilité de fin ou de réveil."

Je vis sans vivre en moi-même, dans mon espoir sans limites, je meurs de ne pas mourir; dans la seule confiance de mourir un jour, je vis, car c'est vivre que mourir, cette fin m'affirme mon espérance. Ne tarde point, je t'attends, je meurs de ne pas mourir.

La préparation à la mort exige une marge de santé, de tranquillité, de sécurité. La pente douce invite à méditer sur les horizons invisibles, la pente abrupte les voile. Ce qui tue ne prépare pas à mourir. D'où la nécessité de penser à la mort avant qu'elle n'ait raison de nous. Mais au fait, à quoi donc nous sert cette méditation? Apprendre à mourir ne sert pas à bien mourir, mais à vivre moins mal. Certes, le but de l'intelligence, c'est la vérité et donc la mort, puisque la vérité est du côté de la mort. Mais son effet immédiat, c'est d'aider à vivre...on ne croit poursuivre le but que parce qu'on recherche l'effet.

La vie ne vaut pas d'être achetée à n'importe quel prix: C'est pourquoi le sage vit, non autant qu'il peut vivre, mais autant qu'il le doit. Il verra où il doit vivre, avec qui, comment, pourquoi: son unique pensée, c'est la valeur, non la durée de son existence. Mourir tôt ou tard, peu importe; ce qui importe, c'est de bien ou mal mourir. Or bien mourir, c'est échapper au danger de mal vivre.

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14 juillet 2006

Smoke RIngs

Aura-t-il eu beaucoup d'expérience avec l'être humain en général ? 

Lorsque ma dernière cigarette s'est retrouvée en cendres recroquevillées sous un mégot au fond d'un cendrier, elle ne savait sans doute pas que c'était la dernière que je fumerais. Le savon qui enleva l'odeur de tabac froid de mes doigts, le fluor qui parfuma l'encens des vestiges de nicotine jusqu'au fond de ma gorge, la dernière bouffée nuageuse de vapeur de goudrons et autres monoxydes de carbone...

Je me pensais mature, en charge et responsable. J'avais passé la trentaine, je pouvais dire "il y a vingt ans..." sans ajouter "j'ai oublié". Je devais m'absenter, partir à l'ombre pour quelque temps, monter sur un cargo crasseux, dépasser les sept mers et m'allonger sous les tropiques. Du Capricorne, du Cancer...

Mon Capitaine m'avait dit : "Vous avez un cancer des poumons. Nodules envahissants à gauche, à droite, en haut, en bas. Une ligne, deux lignes. Une croix". J'avais répondu Amen à la fumée de ce tabac, Amen à cet holaucoste divin, Amen à ce froid constat, Amen à ce tabacologique destin...
 

On continua à me demander : "Pourquoi continues-tu à fumer ?". On me demandait sans relâche en me soufflant au visage des alizés grisâtres de goudron dissous dans l'atmosphère : "Pourquoi continues-tu à fumer ?". Les volutes bleues de vos Gitanes rejoignaient les cumulus et cumulo-nimbus accrochés aux cieux. Ces cieux, ce paradis que jamais vous ne regardiez, vos paupières continuellement sollicitées par les magmas de lave six pieds sous terre. Le feu ne brûle pas uniquement en Enfer. Les anges fument également, comme vous et moi, ils s'ennuient devant le vide, ils stressent devant l'infini, ils tuent leur éternité dans les mouvements des nuages; et si ce n'est de désespoir, ce doit être de plénitude qu'ils soupirent ces charmants S.O.S. 

Je suis né pour mourir d'un cancer, que je fume ou non. La nicotine coule dans mes veines depuis toujours. Et si celle-ci ne s'attaque pas à mes poumons, elle s'en prendra à mon coeur mort, cancérisé. Je suis stressé et oppressé, de douleur, de terreur, vide mais lucide de l'ampleur de mon erreur.

Je suis né pour mourir d'un cancer, que je fume ou non. Le goudron coule dans ma gorge depuis toujours. Et si celui-ci ne se colle pas à mes poumons, il obstruera ma carotide, mon aorte, porte ouverte, nécrosée. Je suis angoissé et tiraillé entre ma ferveur et ma torpeur, grisé et cendré, un crématorium, votre ultime Te Deum.

Je suis né dans un cancer, qu'elle ait fumé ou non. La petite flamme me brûle les yeux depuis un millier de jours. Et si ceux-ci ne pleurent plus, ils n'en meurent pas moins d'impuissance, braises incandescentes. Ils sont voilés et embrumés, l'un tourné vers l'espoir, l'autre vers le noir, c'est louche, je vois trouble, et même double.

"Marlboro, Marlboro Lights, Dunhill Gold, Lucky Strike, Camel Bend, Camel 100's, Craven A, Time, Fine 120, Philip Morris, Gauloises Blondes, Pall Mall, Chesterfield, Davidoff, Gitanes Maïs, L&M, Royale, Winchester, Tabacalera, Benson Hedges...".
 

Mes docteurs m'ont sermonné : "C'est un vrai suicide !!"
J'ai rétorqué : "C'est vrai, et il sera rapide...", et par ailleurs il me manque de temps pour entamer une cure de désintoxication, un sevrage à la vitesse du son, les précédentes ont toutes échoué, ma respiration est saccadée, mon souffle est épuisé, sat à 0%, mes poumons s'emplissent de sang, dites Amen à la fumée de ce tabac, à cet holocauste divin, ma tête se vide, tout est limpide. Il est bien trop dur de mener une vie moderne et libérée de courantes addictions, de veiller sur ma santé, je ne suis pas un sportif de haut niveau après tout, on dit que le culte du corps détruit l'âme.
 

Roulez jeunesse, roulez pelles tabagiques et cigarettes cheap. Roulez dans l'herbe, roulez les herbes vertes que je n'ai jamais fumées. De cendres tu retourneras en cendres, de poussières tu retourneras en poussières. Avais-tu une cigarette incandescente sur ton lit de mort ? Ton ultime soupir était-il un râle enfumé ? Te consumais-tu lors de ton dernier souffle ? 

14 juin 2006

Culture d'Entreprise

Il existe d'innombrables définitions de la culture d'entreprise, toutes plus compliquées les unes que les autres. Vous pouvez découvrir la culture de la vôtre en vous posant les questions suivantes :

Quels sont les dix mots que vous choisiriez pour définir votre entreprise ?
Qu'est-ce qui est important ?
Qui reçoit des promotions ?
Quel genre de comportement est apprécié ?
Quel genre de personnalité se sent à l'aise dans l'entreprise ?

Toutes les relations au sein de l'entreprise sont basées sur le pouvoir. Ce genre de culture résulte souvent dans des querelles internes concernant les statuts et les privilèges. Ces rapports durs et compétitifs effraient certains employés. Efficacité avant tout. C'est l'objectif qui prime. L'autorité se base sur les compétences et le savoir. Un exemple de cette culture sont les dénominations " senior/junior " (supérieur/inférieur). Cette culture de la répartition des tâches permet, paraît-il, une action efficace et laisse de l'espace à l'improvisation. Les règlements et les processus qui ralentissent le travail sont donc bannis. Les aspects socio-émotionnels ne reçoivent pas beaucoup d'attention. Celui ou celle qui ne parvient pas à se défendre ou qui ne parvient pas à suivre le rythme sera tout simplement remplacé.

Les employés souffrent et ne le disent pas. La précarité d’emploi, la course à l’excellence, les pressions à la performance, la polyvalence, les campagnes de restructuration et la formation continue à un rythme effréné, etc., cochez la case correspondant à votre cas.

En fait, la souffrance s’opérationnalise à partir de la contrainte à mal travailler, la crainte de l’incompétence, l’absence de reconnaissance et les stratégies de défense. Celle-ci s’observe lorsqu’une personne sait ce qu’elle doit faire, mais elle ne peut pas le faire parce qu’elle en est empêchée par des contraintes de travail telles des procédures contradictoires, un climat désastreux et des collègues à contre-sens. Elle correspond aussi à l’impossibilité pour un travailleur de déterminer, avec un minimum d’exactitude, si les échecs qu’il vit sont attribuables à un manque de compétence de sa part ou bien à une défaillance technique n’étant pas de son ressort. Et finalement, l’absence de reconnaissance, va de soit. La reconnaissance n’est pas une question de valorisation personnelle servant à gonfler l’ego des travailleurs; elle a un effet direct sur l’identité de la personne puisque cette dernière investit son intelligence, sa ruse et mobilise ses affects dans l’exécution de son travail. Finalement, les défenses sont ce que le sujet met en place pour se protéger contre les affects pénibles. Les défenses permettent de tolérer l’intolérable et d’accepter ce qui ne devrait pas l’être. Par conséquent, l’effet pervers des défenses est de désensibiliser sur ce qui fait souffrir ou «d’endurcir» face à la souffrance.

Le débat de la souffrance au travail étant encore au stade embryonnaire à l’heure actuelle, les gens éprouvent une honte spontanée à protester contre certaines conditions vécues dans le travail alors que des milliers d’autres vivent dans des conditions beaucoup plus précaires qu’eux. La honte de rendre publique la souffrance engendrée par les nouvelles techniques de gestion de personnel vient inhiber toute action collective en ce sens. En même temps que le travail permis par l’entreprise est le début de la souffrance au travail, elle devient l’héroïne incontestée dans la promesse du bonheur, une sorte de denrée rare que peu ont la chance de goûter.

Bénéficiant d’une certaine abondance de main-d’oeuvre, l’entreprise a le beau jeu face à ses employés. Ces derniers vivent sous la menace du licenciement; par conséquent, ils ont tout intérêt à ne pas lésiner sur les tâches demandées, sinon ils auront leur billet pour la prochaine charrette de congédiement avec les effets que l’on connaît. Dans un contexte économique où l’entreprise domine, la précarisation conduit à l’individualisation des rapports de travail et le mot d’ordre devient le «chacun pour soi»; il faut tenir le coup et «se la fermer», ne pas lâcher et la souffrance des autres, «on n’y peut rien». La stratégie de défense consiste donc à nier la souffrance des autres et à faire le silence sur la sienne propre.

Le discours officiel de l’entreprise sur le travail et son organisation est élaboré afin de servir une propagande à l’extérieur de celle-ci. Rien de nouveau là-dedans, il s’agit du mensonge commercial déjà fort répandu depuis bien longtemps. La différence avec aujourd’hui, c’est que le discours truffé de mensonges est maintenant construit pour servir la propagande à l’interne, pour nourrir la «culture d’entreprise». Les messages d’informations diffusés au sein de l’entreprise pour favoriser les échanges entre les divers secteurs d’activités sont, en fait, un agrégat de mensonges utilisés à des fins propagandistes dans le but de stimuler la production des différents secteurs d’activités.

L’espace laissé vacant par le silence des travailleurs sur la réalité de leur travail est utilisé pour faire de la fausse propagande sur l’entreprise, et ce, tant à l’interne qu’à l’externe. Les travailleurs sont traités comme des crétins et des ignorants. Ils sont manipulés par des informations incomplètes et par des images faisant appel à leur imaginaire plutôt qu’à leur faculté de penser.

Ainsi, le vice est de fait transformé en vertu. L’ingrédient de cette mutation de sens porte le nom de virilité, parfois féminine, ce qui veut dire que c’est sur l’autel de la virilité qu’est sacrifié le courage au nom du mal. Cette virilité professionnelle est la capacité à infliger la souffrance à autrui, sans broncher, au nom de l’exercice, de la démonstration ou du rétablissement de la domination et du pouvoir sur l’autre. Le discours viril est un discours de maîtrise appuyé sur le raisonnement logique et la connaissance, supposé ne laisser aucune ambiguïté ni de zones grises.

C’est grâce à cette virilité que le «sale boulot» se fait dans les entreprises. Celui qui refuse de commettre le mal, ou celui qui n’y parvient pas, est dénoncé vertement comme un «pédé», une «femme», «un gars qui n’a rien entre les jambes», etc… Pourtant, celui qui dit non au « sale boulot », le fait au nom du bien et de la vertu, ce qui nécessite un fort courage puisque le risque de ne pas être reconnu, voire même méprisé et ridiculisé est extrêmement grand. En fait, la virilité se veut une défense contre les effets de l’exécution du «sale boulot».

Pour atténuer cette souffrance, plusieurs hommes et femmes dénient la souffrance d’avoir à faire le sale boulot. Parfois, le déni peut aller jusqu’à la provocation, c’est-à-dire que la participation au sale boulot est clairement annoncée sur un ton sarcastique.

La souffrance silencieuse au travail. L’ampleur de la machine néo-libérale dans la gouverne de nos sociétés post-industrialisées. En mettant au jour un processus qui fonctionne comme un piège, la souffrance devient pensable et avec elle, une autre conception de l’action. Jusqu’où les gens sont-ils prêts à souffrir en silence?

Le contexte social actuel n’est pas une maladie incurable. Il existe un pouvoir d’agir sur ce contexte. Cependant, pour être efficaces, les actions à entreprendre ne doivent pas être qu’individuelles, elles doivent aussi être collectives. Or, les stratégies de défense conduisent à isoler les gens les uns des autres de sorte que la mobilisation devient de plus en plus difficile. Jusqu’où les individus s’éloigneront-ils avant de se rapprocher?

La responsabilité de la direction de l'entreprise est minime, voire même nulle. Elle-même est prise dans ce système d'engrenage et n'a pas la possibilité de revendiquer une telle situation dans le monde du travail. Elle peut être parfois complice, mais à ses dépens, elle-même étant redevable devant d'autres autorités invisibles sur le lieu du travail. Le management a peu de marge de manoeuvre, malgré le discours officiel qu'elle veut bien parfois livrer; elle est généralement tout à fait consciente de cet état de fait qui la dépasse et qui la met également dans une posture de victime. A l'exception près que les incidences sur son devenir sont moins tragiques que pour le reste de l'entreprise. La direction est trop souvent considérée comme la cible idéale pour les personnes en souffrance, puisqu'elle est leur unique référent. Mais le référent ultime est au-dessus de cette direction.

Donc si vous pensez que vous vivez dans un monde moderne, et que votre conception de la modernité rime avec humanité, vous devez vous armer solidement pour évoluer quotidiennement dans votre entreprise. Entre 300 et 400 salariés se suicideraient chaque année sur leur lieu de travail. Une violence perverse au quotidien. Une terreur froide, jamais physique, mais dont la cible humaine sort généralement usée et brisée, parfois même les pieds devant.
 

21 mai 2006

Espionnage

Quand j’avais une dizaine d’années, je voulais être un espion. La vie est ainsi fait que les vocations d’antan ne se réalisent pas, et j’ai donc dû me résoudre à être lamentablement voyeur. Utiliser mes yeux et mes oreilles pour trouver certaines réponses à des questions posées selon le même procédé. Donc je me surprends à errer dans les lieux publics et écouter des conversations qui ne me concernent pas, ou observer des gens qui n’ont pas envie d’être regardés.

Mais ce qui me gêne le plus à propos de mes yeux, c’est qu’ils sont trop « primitifs » à mon goût. J’ai l’impression que ce sont des caméras datant du début du siècle, avec des filtres et des lentilles particulièrement rudimentaires, je ne peux pas zoomer, les effets panoramiques sont désastreux, les prises sont totalement ineptes, le cadrage est incertain, bref, le résultat n’est pas assez net.

Par exemple, disons que j’entre dans un restaurant et voici ce que mes yeux voient réellement : la porte s’ouvre, se referme, un bras apparaît , suivi d’un plan saccadé lorsque je regarde où je vais bien pouvoir m’asseoir, puis la porte revient dans le champ parce que quelqu’un me bouscule, etc…

Et si à la fin de la journée, je visionnais les rushes de cette séquence, je virerais le caméraman sur le champ. Mais le paradoxe est que lorsque je repense à cette même scène dans le restaurant, ou s’il m’arrive d’en rêver, je me rends compte que tout le travail réalisé par ces deux caméras s’est nettement amélioré par je-ne-sais quel procédé. Je vois un plan bien établi et cadré, une vue d’ensemble assez large, un champ / contre-champ de moi-même et mon convive, la lumière est plutôt bonne et adaptée, et le son est soigné. Mon esprit a tout réparé ce que mes deux caméras d’yeux avaient filmé de travers. Et la même chose se passe lorsque j’essaie de visualiser l’avenir ou me remémorer le passé. Les choses ont été filtrées par mes souvenirs et mes attentes, et toute la vie est comme lissée par ce procédé qui m’échappe.

30 avril 2006

L'Aquarium de mes Rêves

On m'a offert un aquarium. Un modèle rectangulaire assez peu profond, où l'on peut mettre une trentaine de centimètres d'eau, dans lequel s'entassent des poissons rouges un peu trop gras et des animaux non identifiés, des être hybrides entre crevettes et langoustes, qui se battent avec les poissons pour un minimum d'espace vital.

Ces bestioles sont grisâtres, dotées d'une trompe d'insecte, elles grouillent sans but dans cet aquarium encombrant que j'ai placé dans ma chambre après avoir poussé le lit contre le mur et viré les autres meubles dans le couloir, histoire de me mouvoir dans mon antre.

Je me suis réveillé ce matin, réveillé par le bruit de mes nouveaux animaux de compagnie. Les poissons sont couverts de meurtrissures, les nageoires déchiquetées par les mouvements désincarnés de leurs compagnons. En posant pied à terre, j'ai senti une des bestioles qui faisait un drôle de bruit. Totalement encombrées par le manque d'eau, elles ont envahi mon plancher, qui a été recouvert pendant la nuit d'une moquette grisâtre. A la lueur de ma lampe de chevet, je les vois grouiller par dizaines sur ce nouveau sol. Maman est dans un coin, regardant le spectacle inhabituel de ma chambre. J'appelle à l'aide mais elle reste impassible.

Que celui qui a entendu le cri des souffrances muettes continue à les entendre. Que celui qui est prisonnier de ses pensées nocturnes demeure en captivité. Que celui qui est menacé de l'épée périsse par le glaive. Je ne m'en sors plus avec tous ces animaux : les poissons rouges sont décédés d'une mort double, soit étouffés par manque d'eau, soit broyés par les pinces et les trompes des bestioles. Maman est impuissante dans son coin. 1. Papa a tort. 2. C'est con l'amour... Le moteur du filtre de l'aquarium tourne dans le vide, l'eau s'est évaporée, je suis entouré par ces bestioles. Je n'aurais pas du accepter cet aquarium, ce qui est mouillé et vivant ne m'attire que des ennuis.

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8 avril 2006

Monde à Part

Par hasard, j'ai rencontré un baby-sitter pour enfants autistes. Il m'a raconté comment, sans expérience, et par bouche à oreille, il était devenu une sorte de référence parmi les familles parisiennes qui avaient un enfant souffrant d'autisme.

La démarche est assez complexe : il s'agit de comprendre que chacun est doté d'une échelle de valeurs et que ce qui se produit dans le monde d'un autiste ne se passe pas dans le nôtre, et que son échelle est modifiée; à savoir que pour une personne non autiste, un être humain se situe au-dessus d'une tasse de café commune dans son échelle, alors que pour un autiste, les éléments et être vivants varient et changent de place sur cette même échelle. Partant de ce principe, il ne s'agit pas d'essayer de comprendre l'échelle de l'autiste, ni de la comparer à la nôtre, mais d'accepter que l'enfant à garder ne se souvienne pas du fait qu'il l'ait gardé la semaine dernière et de prendre son oubli sur un mode affectif, mais de considérer son monde parallèle comme une forme de spiritualité qui le connecte à des objets, animaux, êtres vivants ou même divinités auxquelles nous n'avons pas accès. Cela s'éloigne sans doute d'une approche médicale, mais le baby-sitter réussit donc à réunir assez de patience et de détachement, tout en ayant de l'affection pour l'enfant. Et ça fonctionne. Que le baby-sitter soit doté de "dons" particuliers, cela ne fait aucun doute.

La famille pour qui il travaille a placé l'enfant dans un institut spécialisé, mais la règle veut que l'autiste passe trois jours par mois dans sa famille biologique. Or, celle-ci le met complètement à part, les trois soeurs aînées n'y prêtent aucune attention, et ils partent en vacances laissant l'enfant aux soins du baby-sitter. Cela peut paraître choquant que la famille ne reconnaisse plus cet enfant de quinze ans, du fait qu'ils aient adopté une attitude complètement détachée vis-à-vis de son développement. La famille se réjouit donc du fait d'avoir trouvé un baby-sitter capable de patience et d'un minimum, voire un maximum de psychologie, pour palier à leurs carences.

2 décembre 2005

Untitled (honestly, I just can't...)

"... et je souhaiterais revenir sur les considérations concernant le Lexomil. Je désire souligner le caractère extrêmement addictif du bromazepam et des benzodiazépines en général. Il y a 8 ans, j'ai décompensé sur un mode sur un mode anxieux et dépressif une personnalité de type border line. Je me suis vu prescrire un antidépresseur (Séropram), un neuroleptique (Tercian) et une benzo (Lexomil). J'ai très rapidement pris goût au soulagement rapide que m'offrait le Lexomil pour finalement développer une véritable toxicomanie sur un mode binaire (le plaisir et le soulagement). Durant trois 3 ans j'ai essayé une trentaine de psychotropes toutes classes confondues (neuroleptiques, antidépresseurs, anxiolytiques divers  (Atarax, Equanil...) dont benzo, thymorégulateurs, somnifères "stater", antihistaminiques pour leur vertus hypnotiques (Téralène, les initiés comprendront...). Mais à chaque fois rentrait dans la composition de mon menu journalier une benzo, différente selon la période concernée (Xanax 0.5, Tranxène 10, 50, Victan, Lexomil, Temesta, Lyxanxia, même Valium..).

Ainsi j'ai pris durant 8 ans quotidiennement des doses massives de benzodiazépines, d'abord parce que la tolérance s'est très vite installée chez moi et puis parce que j'ai développé en quelques mois ce que les médecins et les psychiatres nommaient une toxicomanie médicamenteuse. A la grande époque, je prenais jusqu’à 16 barres complètes de Lexomil par jour, 250 à 300 mg de Tercian (ces doses-là s'adressent généralement à des schizophrénies), un antidépresseur (je sais plus lequel: il y en a eu tellement). Comme cela ne suffisait plus (et oui la tolérance toujours la tolérance), j'ai commencé à prendre des opiacés (codéine, codéthyline). Ainsi, je pouvais avaler presque deux boites de Codoliprane par jour (une trentaine de comprimés, réparties dans la journée par poignées de 6). Je devenais donc dépendant à deux types de molécules, essayant de trouver, en vain, un équilibre entre les deux, avec une surenchère quotidienne et les désordres constants qu’un tel mélange peut produire sur le comportement, l’humeur, le sommeil, l’alimentation et la concentration.

La dépendance au benzodiazépines m'a valu d'ailleurs plusieurs traitements en psychiatrie (qui est un véritable enfer, soit dit en passant). Me croira qui voudra mais le sevrage des benzos allait jusqu'à des douleurs physiques. Durant deux semaines, un verre d'eau et je dégueulais, des douleurs et des contractures musculaires à leurs paroxysmes ce qui m'a valu plusieurs shoot de lepticure (une fois, 3 en une soirée pour débloquer mon cou), une angoisse viscérale de chaque instant me donnant aucun répits, implorant à genoux pour en avoir "juste un, juste un..., juste un... ". Et quand j'essayais de me sevrer moi même : delirium! Et échec bien évidemment ... Compenser l'arrêt des benzos en augmentant les doses de codéine, c'est faire un pacte avec le diable. J'ai foutu en l'air ma vie professionnelle, n'ai réussi à tenir matériellement que grâce à la compréhension de mon employeur, perdu quasiment tous mes amis de l'époque.

La codéine que l’on trouve en vente dans les pharmacies sans avoir à fournir d’ordonnance est un opiacé qui est utilisé essentiellement et dans l’hypocrisie générale par les héroïnomanes en manque de poudre. Il est « déconseillé » d’en absorber plus de six comprimés par jour, dose que je multipliais aisément par cinq.

Le nombre de pharmacies est impressionnant et assez élevé pour me convaincre que je ne me faisais pas repérer quand je débarquais avec la gueule cadavérique une ordonnance à la main. Pareil pour me ravitailler en codéine (elle est en vente libre lorsque un certain seuil n’est pas dépassé).

Jusqu'au jour où j'ai  enfin mis un terme à ce cirque au prix de souffrances psychiques, psychologiques et physiques (dépression, fatigue, déni de soi, perte totale de confiance en soi, en les autres et en la vie), et une prise en charge hospitalière qui m'a totalement isolé du monde pendant quatre mois. Pendant cette période en psychiatrie, je n’ai souhaité aucun contact avec mes connaissances, la plupart d’ailleurs ignorait totalement ce que je faisais réellement.

La sortie, je l’appréhendais et le sevrage n’arrangeait rien à l’anxiété. Celle-ci d’ailleurs n’a pas complètement disparu : les réveils se font dans la sueur froide, le ventre tordu de douleurs dues aux angoisses matinales, qui devraient continuer pendant encore quelque temps.

Aujourd'hui encore je ne comprends pas ce qui s'est passé durant cette période, et les souvenirs de ces mois de transition ne sont que des flashs. Les trois années précédentes se perdent dans un brouillard et une mélasse indigeste. 

Je dormais 5h par nuit durant 1 an sans aucune fatigue le lendemain mais dans un état d'excitation important. Il m'aura fallu 3 mois non pas pour revenir à la normale mais apprendre à gérer le quotidien. Retourner au travail après quatre mois d’absence (plus de six mois au total), affronter le regard des autres, réapprendre à tenir une journée sans avaler des calmants, mentir sans arrêt sur ce passage de mon existence. Je suis sous contrôle permanent, oscillant entre phases de surexcitation et de fatigue.

Chaque jour m’éloigne de ce calvaire que je m’étais imposé en espérant pouvoir faire abstraction de mon enveloppe corporelle et calfeutrer mon esprit dans un coton protecteur. Il n’y a pas de solution miracle au mal-être, à la carence en affection ou au manque de confiance en soi. Ce que l’on comble artificiellement d’un côté vous tire davantage vers le fond de l’autre dès que l’effet anesthésique disparaît. On reste hermétique aux injonctions et mises en garde, bien que l’on sache pertinemment que l’on a développé un sérieux problème d’assuétude. Nier la lourdeur et la souffrance générées par les assauts contraires de l’âme et du corps par des substances artificielles correspond à faire deux pas en arrière quand on pense en faire un avant ; chaque jour m’éloignait davantage de l’ataraxie à laquelle j’aspirais, chaque nuit apportait son lot de cauchemars que tout mon être absorbait inlassablement pour les vomir dès que j’ouvrais les yeux.

Je ne sais pas où j’en serais si je n’avais pas réussi ma cure de désintoxication. Je serais sans doute coincé dans un engrenage sans fin, un peu plus bas et un peu plus mal. Mon médecin addictologue m’a dit récemment qu’il craignait pour ma vie lors des derniers mois avant ma cure (insuffisance respiratoire due aux benzos, malaise, chute, etc…).

Aujourd’hui je ne suis plus à convaincre sur le pouvoir addictif des benzodiazépines, et je regarde cette période, en particulier les trois dernières années avec un mélange d’amertume, de remord et de tristesse. Je me suis enfin convaincu sincèrement du caractère nocif des drogues vendues sous ordonnance. Toutes les certitudes et affirmations sur le sujet ont complètement été remises en case.

Et pourtant, il en faudrait peu pour que la petite boîte vert anis me séduise à nouveau. D'ailleurs pour tout avouer je n'ai jamais oublié le goût quasi imperceptible mais si marquant du Lexomil."

J'ai fait le yo-yo avec mon corps, pouvant monter jusqu'à 80 ou descendre à 55 kg pour 1m80. Désordres de l'alimentation, digestions déséquilibrées, anorexie, boulimie, focalisation sur un seul aliment pendant deux semaines, puis un autre,  je ne pouvais plus manger à cause des vomissements. Je me suis mis également à fumer des cigarettes régulièrement, alors que cela ne m'apportait aucun plaisir et me stressait davantage. Sans oublier que je ne supportais pas l'odeur du tabac dans l'air, sur mes vêtements, dans ma bouche, sur mes doigts. Je pouvais dormir 3 heures par nuit pour me lever dans un état de fatigue totale et m'endormir au bureau, devant les clients ou les collègues, dont certains se sont faits une joie de le faire savoir à qui voulait l'entendre. Je pouvais également rester plus de 48 heures sans sortir de mon lit et ne me lever que pour me ravitailler en munitions médicamenteuses, pensant que j'évacuerais ainsi ma fatigue. Le réveil était tout aussi impossible et j’attendais le soir avec impatience.

Ma peau devenait grise, verte par moments, je n'étais plus que cernes, toutes les douleurs mémorisées par mon organisme se réveillaient sans avertissement. Quand je grossissais, je prenais du bide, flasque, quand je maigrissais, le bide restait sur des canes difformes.

Obtenir des benzos était devenue une de mes principales préoccupations. Je me suis rendu compte que c’était assez facile d’en avoir légalement, à Paris du moins, en prenant rendez-vous chez plusieurs médecins différents dans la semaine, en particulier dans les centres médicaux, où la consultation se transforme facilement en visite chez l’épicier : on vient avec sa liste de courses et on en sort avec une ordonnance. Il s’agit ensuite de ne pas se faire repérer par la Sécu en ne renvoyant pas les feuilles de soins. Quand on a une vie qui se limite à la prise de benzo (puisque rien d’autre ne compte), on a suffisamment d’argent pour se payer les boîtes de médicaments à moins de 5 Euros pièce sans avoir à demander de remboursement.

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